vendredi 18 janvier 2013

"Je n'ai pas à m'excuser..."


Dans une interview accordée au Monde daté du 19 janvier 2013, Laurent Berger renvient sur la signature par la CFDT de l'accord sur la sécurisation de l'emploi.


L’accord que la CFDT vient de décider de signer, est-il emblématique du réformisme syndical que vous défendez, quand d’autres y voient du social-libéralisme ?
Il y a tellement de mots tabou que bientôt, on n’aura plus que 20 mots pour parler du monde du travail et d’économie dans ce pays, cela commence à me fatiguer ! Ce qui est important c’est la réalité vécue par les gens. Les organisations syndicales ont la responsabilité de changer la vie des salariés. Je n’ai pas à m’excuser de leur apporter du plus ni d’avoir encadré la flexibilité dans les entreprises, qui aujourd’hui est à la fois sauvage et omniprésente.
Au minimum, l’accord est équilibré, moi je trouve qu'il est ambitieux ! Il ne résulte pas d’un troc, mais marque une nouvelle articulation entre l’économique et le social dans l’entreprise et sur le marché du travail. En ce sens, il perturbe certains repères. Dans une période de crise, les partenaires sociaux ont su se mettre d’accord sur un compromis structurant à moyen terme. C’est nouveau pour le dialogue social.

L’accord prévoit des mesures de flexibilité immédiate et renvoie les mesures de sécurisation à plus tard. N’est-il pas de ce fait difficile à défendre ?
Mais pas du tout. Les flexibilités dont vous parlez sont encadrées par des accords majoritaires dans les entreprises ou par un renvoi à la législation actuelle ou à l’administration. Les droits nouveaux pour les salariés sont parfois renvoyés à la négociation, mais effectifs. Au 1er janvier 2016, tous les salariés auront une mutuelle payée par l’employeur au mois à 50 %. Les droits rechargeables pour les chômeurs sont aussi inscrits en tant que tels.

Le fait que l’accord ait été salué à la fois par l’OCDE, par le Wall Street journal, par le Financial Times, peut-être demain par la FMI, n’est-ce pas parce qu’il fait la part trop belle à la flexibilité ?
La flexibilité existe aujourd’hui : c’est du temps partiel imposé à outrance sans organisation du travail, ce sont des contrats de précaires à ne plus savoir qu’en faire. Le débat sur les accords de compétitivité-emploi est surréaliste. Toutes les organisations syndicales en ont signé dans les entreprises sans aucun cadre juridique. Aujourd’hui que dit l’accord sur ce sujet ? Qu’il faudra une difficulté conjoncturelle avérée, un diagnostic économique préalable, un accord majoritaire à 50% qui ne pourra pas dépasser deux ans et demandera les mêmes efforts aux patrons et aux actionnaires, il devra comporter une clause de retour à meilleure fortune et maintenir l’emploi.

Certains élus socialistes veulent à tout prix maintenir leur droit à amendements lors de l’examen du projet de loi transcrivant l’accord. Comment les choses vont-elles se passer ?
Je souhaite que le contenu du projet de loi soit discuté avec les signataires, puis avec les non signataires, avant d’être envoyé au Conseil d’Etat. Le droit à amendements existe mais dans le respect du texte et de son équilibre. Il existe des marges de discussion sur des précisions utiles. Je pense notamment aux modalités de désignation des représentants des personnels dans les conseils d’administration des grandes entreprises. La reprise de sites rentables, que le patronat n’a pas voulu négocier, doit être traitée, mais dans un autre texte.

L’annonce des 7 500 suppressions d’emploi chez Renault n’est-elle pas particulièrement mal tombée ?
Cette annonce est maladroite. Nous sommes dans un long processus de négociation, qui va seulement entrer dans le vif du sujet. Je fais confiance à l'équipe CFDT pour la mener à bien et prendre la bonne décision.

Vous avez décidé de signer cet accord avec deux organisations minoritaires. N’allez-vous pas vous retrouver trop isolé ?
Seuls ceux qui ne font rien, ne prennent pas de risque ! La CFDT n’est pas isolée. Il existe un camp réformiste dont elle fait partie. Mais je respecte la diversité syndicale et je ne veux pas creuser nos divergences. J’ai d’ailleurs appelé Jean-Claude Mailly pour le prévenir que nous nous engagerions sur l’accord.

La CGT estime que cet accord contient « des reculs sociaux dictés par le Medef ». Etes-vous en nouveau en rupture avec cette organisation ?
Il y a clairement une bipolarisation du syndicalisme sur ce sujet. Rien ne dit qu’elle sera durable, mais nous avons une conception fondamentalement différente avec la CGT de l’articulation entre la loi et la négociation. Ce n’est pas une surprise : pour nous opposer à un projet, nous parvenons à agir ensemble, en revanche faire des propositions communes et s'engager ensemble c'est plus difficile.

La surtaxation des CDD ne reste-t-elle pas trop marginale pour être dissuasive ?
Les cotisations chômage des CDD de moins d’un mois vont augmenter de 75 % ! Près de 17 millions de contrats précaires vont être taxés plus fortement, ce n’est pas du tout anecdotique. Elle va responsabiliser les chefs d’entreprise, tout en finançant une incitation à l’embauche des jeunes de moins de 26 ans en CDI.

L’élargissement des mutuelles va encore laisser de côté les étudiants, les retraités et les chômeurs de longue durée. N’est-ce pas dérangeant ?
Il faut faire plus, mais ce n’est pas seulement la responsabilité des partenaires sociaux, mais celle de l’Etat. Ne crachons pas sur le fait qu’on ait fait progresser les droits des salariés au nom du fait qu’il reste encore des progrès à faire pour d'autres.

La CFDT est l’interlocuteur privilégié du gouvernement, François Chérèque est parti diriger Terra Nova. Cette proximité avec le PS n’est-elle pas problématique ?
La CFDT n'est dans les mains de personne. Nous sommes l’interlocuteur privilégié de ceux qui veulent parler. J’ai par ailleurs beaucoup de désaccords avec le gouvernement, comme sur le jour de carence pour les fonctionnaires ou le rétablissement de l’allocation équivalent retraite
François est devenu inspecteur des affaires sociales parce qu’il avait des compétences à faire valoir. Il se voit confier des missions parce qu’il est au service de l’Etat, je ne vois pas où est le problème. Terra nova est un engagement militant et il ne s’exprimera pas sur les questions économiques et sociales pour ne pas me gêner.
  
François Chérèque voulait une réforme systémique des retraites. Vous êtes nettement plus prudent. Pourquoi ?
Ce n'est pas le cas, mais à chaque jour suffit sa peine. La négociation sur la qualité de vie au travail et l'égalité professionnelle est la plus importante dans les semaines à venir. Sur les retraites, attendons de voir ce que le gouvernement a en tête. Il faudra ensuite réfléchir à une réforme d’ampleur.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Chastand, Claire Guélaud et Michel Noblecourt

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