Financement des comités d'entreprises, création des CHSCT, négociation annuelle obligatoire: il y a trente ans, les lois Auroux chamboulaient un tiers du code du travail dans le but affiché de faire des salariés "des citoyens dans l'entreprise".
Ces quatre textes sociaux, votés peu après l'arrivée de la gauche au pouvoir, portent le nom du ministre du Travail Jean Auroux, chargé dès 1981 de rédiger un rapport sur "les droits des travailleurs".
Dans "Jean Auroux, l'homme des lois" (2012), ce socialiste né en 1942 raconte son étonnement de s'être vu confier à 38 ans le ministère du Travail par François Mitterrand.
"Je dois vous dire, Monsieur le président, que je ne suis pas juriste et nous avons prévu de réformer profondément le code du travail", répond cet ancien enseignant. Mais le nouveau chef de l'Etat rétorque qu'il veut un "homme du terrain" ayant "le souci du dialogue social".
Commence alors le processus de réforme du code, pour que l'entreprise ne soit pas "le lieu du bruit des machines et du silence des hommes", selon les termes de M. Auroux.
L'ancien ministre rappelle que c'est Martine Aubry, membre de son cabinet, qui a eu la tâche de "mettre en forme juridique" les réformes.
Les quatre lois, dont la première remonte au 4 août 1982, constituent un vaste "ensemble assez hétérogène" portant la marque de la gauche chrétienne, selon l'historien Matthieu Tracol, qui leur a consacré un ouvrage. Ces lois sont fortement marquées par l'influence de la deuxième gauche, et plus particulièrement de la CFDT, qui fut la source d'inspiration majeure du ministère du travail.
Elles renforcent la protection des salariés et de leur représentants, attribuent un financement aux comités d'entreprise (CE), instaurent une obligation annuelle de négocier, ou encore créent les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Des lois "obsolètes"?
M. Auroux explique s'être heurté à l'opposition et au patronat, mais souligne qu'un responsable du Medef lui a récemment confié qu'il n'avait pas "cassé la baraque économique".
Selon M. Tracol, en fin de compte "ce sont des lois modérées". L'ambition était "d'installer une culture de négociation", indique-t-il à l'AFP.
Cependant, pour cet historien, cela n'a "été réalisé que très partiellement", notamment parce que les lois "ont donné énormément d'outils aux syndicats, mais à une période où ils perdaient en substance, en forces vives".
Pour Me Philippe Brun, avocat de salariés, "c'était une réforme tranquille qui mériterait aujourd'hui d'être pleinement dépassée. Mais c'était une réforme utile, encore aujourd'hui, parce qu'il a fallu attendre 1982 pour que le droit syndical soit une vérité absolue dans l'ensemble des entreprises".
"Les lois Auroux ont constitué une refonte complète du droit du travail (...) comme on en fait tous les cinquante ans", relève Jean-Emmanuel Ray, spécialiste en droit du travail. Mais "c'est le chant du cygne du travail d'hier, car c'est un droit du travail qui s'applique à la manufacture, aux grandes structures taylorisées, du tout collectif avec unité de temps, de lieu et d'action", note-t-il.
Me Sylvain Niel, avocat en droit social chez Fidal, estime même que les lois Auroux sont désormais "complètement obsolètes".
"Elles ont mis en place pas moins de cinq étages de représentation du personnel (CE, CHSCT, délégués du personnel, etc.), ce qui est sujet de conflit et de concurrence entre les partenaires sociaux", explique-t-il, évoquant la piste d'une "instance unique".
Me Brun attend de son côté "un grand bond en avant" pour que les CE soient associés à "un processus de codécision" et n'aient plus un simple avis consultatif.
Les partenaires sociaux ont engagé il y a trois ans une concertation sur l'évolution des instances de représentation du personnel. Le gouvernement souhaite qu'elle aboutisse avant la fin de l'année.
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